Chers camarades,
En construisant votre Confédération Générale du Travail Force Ouvrière, vous avez voulu retrouver, dans un syndicalisme libre et indépendant, « contre toute emprise politique », une organisation souveraine et forte, décidant et agissant hors de l'atteinte des partis, hors de l'influence du pouvoir.
Vous avez voulu un syndicalisme « plein » d'étude et de combat, entièrement prêt à se charger de toutes ses responsabilités, un syndicalisme n'ayant pour directives dans son comportement, pour limites à ses actes, que celles démocratiquement fixée par lui-même dans les instances régulières du mouvement, que Celles tracées par vous, syndiqués et militants.
Vous avez voulu un syndicalisme apte à s'affirmer clairement et fortement sur les deux terrains complémentaires l'un de l'autre où il se meut, où il agit — celui de la revendication directe près du patronat et du pouvoir, celui aussi de l'association aux responsabilités de la gestion en tous lieux, sous toutes formes où il peut obtenir sa participation.
Vous avez voulu un syndicalisme éclairé et libre, un syndicalisme traditionnaliste et novateur, un syndicalisme de revendication et de construction.
Vous vous êtes permis toutes les ouvertures de l'esprit et (le l'action. L'action .suppose un choix. Le choix exige la connaissance. La démocratie syndicale ne peut reposer que sur des hommes à l'esprit libre et éclairé. Vous avez éloigné de vous tout credo, rejeté tous endoctrinements.
Vous ne vous êtes pas coulés dans le cadre religionnaire comme la C.F.T.C., ni stalino-mariste comme la C.G.T. Vous déniez tout sens syndical à l'attitude catégorielle de la C.G.C. et à celle, corporatiste, des Autonomes de l'Enseignement.
Votre syndicalisme, vous l'avez rattaché à la tradition syndicale parce qu'elle est celle de l'indépendance. Elle est aussi celle de la recherche constante de la vérité et du progrès, de la position juste. En l'appuyant sur la tradition, en clamant : « Nous continuons la. C.G.T. », vous l'avez fait novateur comme elle le fut naguère, et vous l'avez refait indépendant. Là, est la véritable source de sa vie, sa vraie force potentielle, le gage de son épanouissement.
Vous avez tout aussi bien senti qu'il ne peut se cantonner purement et simplement dans la revendication, pas- plus qu'il ne doit se corseter dans ses participations. Notre syndicalisme n'est pas un groupement d'intérêts égoïstes, inconscients des problèmes complexes que pose la vie en collectivités nationale et internationale. Il n'est pas non plus un rouage insensible de l'économie, de l'administration ou du pouvoir. En l'axant sur ces deux pôles de son activité, la revendication et la participation,' vous avez voulu qu'il puisse mieux, en toutes circonstances, servir les intérêts des travailleurs.
Chers Camarades; en créant la C.G.T. Force Ouvrière, vous Parez placée dans la vraie ligne du syndicalisme français de bon aloi, accessible à tous les salariée, • ouvert à toutes les idées, jaloux de sa liberté, à la constante recherche du 'progrès social.
En rattachant notre syndicalisme à cette ligne, votre réalisme l'a situé entre la réaction et l'aventure. Vous l'avez fait révolutionnaire au sens profond et sûr du terme.
Vous avez exigé plus. Vous avez voulu que notre Confédération Force Ouvrière soit l'organisation de la bonne et franche camaraderie, le lieu, où chacun a droit à l'expression totale de sa pensée, où on peut toujours s'exprimer sans rien craindre, s'opposer sans se combattre. Volis avez tenu à honneur que Force Ouvrière soit une équipe et vous avez voulu qu'elle le soit dans les syndicats, dans les Unions et Fédérations, au C.C.N. comme 'à la Commission exécutive et au Bureau confédéral.
tous avez, Camarades, voulu tout cela.
Après quasi trois années d'existence, alors que va se tenir notre deuxième Congrès national, cependant que le syndicalisme Force Ouvrière, en dépit de toutes les traverses, malgré les innombrables difficultés nées des temps et des hommes, a réussi à s'imposer par le nombre de ses adhérents, par le rayonnement de sa pensée, par le sérieux de son action, cependant qu'il se situe au rang des grands groupes sociaux de notre pays et qu'il tient fort honorablement sa place dans le syndicalisme international, le moment est venu de présenter un bilan, de juger ce que nous avons fait, d'évaluer ce que peut-être nous aurions pu faire et aussi de définir ce que nous avons à faire.
Ce sera là la tâche du Congrès confédéral.
Les rapports qui suivent n'ont pour objet que d'en préparer les débats.
Léon Jouhaux